#2 Daphne Oram

 

Nouvel opus de notre série sur les pionnières de la musique électronique ! Portrait d’une musicienne totalement avant-gardiste, qui a cherché toute sa vie à concrétiser le projet fou à l’époque de produire la musique avec des dessins : la britannique Daphne Oram.

Née dans l’entre-deux guerres, en 1925, la jeune Daphne étudie la musique et évoque dès sa jeunesse l’idée de produire de la musique directement en dessinant des lignes et des motifs. C’est avec son frère, ingénieur, qu’elle découvre l’électronique en fabricant des transmetteurs radio. Plus tard, elle décline un poste au Royal College of Music pour intégrer, en 1942, les équipes junior de la BBC. C’est la guerre et la plupart des techniciens prennent part aux combats. Malgré son genre et son jeune âge, Daphne Oram occupe une place importante et s’occupe de mixer les enchaînements des enregistrements symphoniques diffusés sur les ondes. Grâce aux stages proposés par la chaîne de radio, elle part en Europe, notamment à la RTF et découvre les travaux de Pierre Schaeffer et Karlheinz Stockhausen, deux pontes de la musique contemporaine, qui disposent de studios et expérimentent réellement les potentiels de la recherche électronique dans la production sonore radiophonique. Back in England, la jeune femme tente de convaincre la direction de la BBC de s’aligner sur ces modèles. Elle participera de la création, en 1957 du fameux BBC Radiophonic Workshop de Maida Vale, qui verra notamment éclore la carrière de Delia Derbyshire, dont nous avons déjà tiré le portrait. En retard quant à son parc de matériel et ayant beaucoup à envier à ses homologues français et allemands, la chaîne ne souhaite cependant pas capitaliser davantage sur ces formes de recherche sonore expérimentales.

Still Point, Daphne Oram, 1948
Première composition qui combine un orchestre acoustique et de la musique électronique.
Cette pièce est restée inconnue jusqu’aux années 1970.

C’est un projet un peu fou qui obsède Daphne, en écho à son intuition enfantine : un instrument de musique électronique qui interprète des informations dessinées. Une sorte d’inversion du système de l’oscilloscope, qui traduit en signes graphiques les ondes sonores. Comprenant assez rapidement que les moyens accordés par la BBC ne seront pas à la hauteur de son ambition, elle démissionne quelques mois après la création du Workshop, pour ouvrir son propre studio, The Oramic Studio for Electronic Composition, dans la campagne anglaise.

Contrasts Essonic, Daphne Oram, 1968
Premier morceau entièrement composé avec l’Oramics.

Elle travaille sans relâche sur l’Oramics, qui vise à concrétiser directement la création des sons par le compositeur. Développé avec l’aide de l’ingénieur Graham Wrench, ce dispositif très complexe, remplissant facilement l’espace d’une petite salle, embarque une cellule photosensible pour scanner des films 35 mm comportant des dessins réalisés avec une peinture occultante. Les bandes de pellicule gèrent chacune un paramètre : timbre, fréquence, hauteur… C’est une véritable usine à gaz ! Oram se lance dans la conception de Mini-Oramics mais ne produira jamais de prototype viable. Dans les années 1980, c’est l’arrivée des microprocesseurs, et elle reçoit une bourse pour développer une version numérique.
Malgré son caractère visionnaire et son intérêt technologique, l’Oramics ne connaîtra jamais de sortie grand public, ce qui était l’objectif de la compositrice, ni ne sera vraiment utilisée par des compositeurs. Quelle révolution se serait passée si la BBC avait suivi Daphne Oram dans son projet, qui aurait pu inonder le marché avant les synthétiseurs et quelle influence cela aurait-il eu sur la création d’aujourd’hui !

Juliette Tixier

Oramics, Atlantis Anew, Aura Satz, 2011

Vidéo documentaire sur l’Oramics par la vidéaste Aura Satz dans le cadre de l’exposition « Oramics To Electronica: Revealing Histories Of Eletronic Music » au Musée des Sciences de Londres en 2011.