La fabrication du sport à la télé

 

 

Un digest du documentaire radiophonique Sound of Sport, BBC Radio 4, 2011.

 

Quand il n’est pas strident (rappelez-vous les Vuvuzelas à la Coupe du monde en Afrique du Sud), le son du sport se fait discret à nos oreilles de spectateur ou téléspectateur. Avons-nous déjà fait attention à l’environnement sonore, entendu au-delà du commentaire qui est notre guide dans l’image ? Splash dans le bain du son du sport avec les artisans de la captation et diffusion grâce à un documentaire radio réalisé par la BBC 4 en 2011. Pas de sous-titres, ni traduction, plongée en apnée et en anglais pour les plus courageux.

S’il vous arrive de penser que le visagiste est au coiffeur ce que le paysagiste est au jardinier, vous avez sans doute une grille esthétique et un esprit critique aiguisé. Peut-être même que, quand vous allez à un concert, vous êtes de ceux qui triangulent du regard la salle afin de trouver le point idéal qui vous permettrait de réceptionner les ondes sonores émises par le système de diffusion. Vous ne vous contentez pas d’une simple télévision, mais vous avez déjà installé une télé 3D incurvée et une diffusion 5.1 pour profiter au mieux des épisodes de New York : Unité Spéciale.

Mais vous le savez, la télé ne doit pas profiter qu’au regard passif et à un cerveau anesthésié. La télévision, c’est pour les oreilles aussi. Et quelle meilleure messe pour profiter pleinement du potentiel technologique de votre équipement home cinema qu’une finale de coupe du monde, ou encore mieux l’intégralité des compétitions des JO ?! Le son du sport à la télé, on s’en rend surtout compte quand ça vient de l’appartement voisin ou quand on passe sous des fenêtres grandes ouvertes, un soir de grand match. La partition est souvent la même, un premier plan fait de voix de commentateurs sur fond de cris et chants des supporters. Le son du sport, à quelques exceptions près, serait donc celui de sa perception par le spectateur : supporter ou commentateur. Le documentaire Sound of Sport, produit pour BBC Radio 4 par Peregrine Andrews en 2011, enlève la sourdine et remet au premier plan les sons qui font le sport : le frottement des mains sur les barres parallèles en gymnastique, la traversée de l’air par la flèche en tir à l’arc, la rame coupant l’eau en aviron…Tous ces sons qu’on croit entendre, parce qu’on voit le geste à l’image.

> Le documentaire Sound of Sport, en intégralité

Sound of Sport révèle cette face cachée des microphones qu’on ne voit jamais parce que les réalisateurs des retransmissions les trouvent déplaisants à l’image. Et pourtant, ils sont partout et ils sont nombreux. 4000 microphones ont été déployés pour la retransmission télévisuelle des JO de Londres en 2012, orchestrée par le designer sonore américain, Dennis Baxter et son armée de 700 techniciens. 4000 microphones de tous types, sur des perches, dans l’herbe, sur les agrès (des micros-contact sur les barres parallèles). Plus il y en a et plus il y a du détail et de la texture.


Exercice de barres parallèles aux JO de Pékin, 2008 

Primé aux Emmy pour sa couverture sonore des JO d’hiver de Vancouver en 2010, Dennis Baxter capte et restitue en son les JO depuis 1996, quand l’avènement technologique fait comprendre aux professionnels que la télévision doit s’inspirer des blockbusters hollywoodiens dans la couverture des événements sportifs. Les références sont Die Hard et à l’aube de l’an 2000, Fast and Furious. #huge #big. C’est violent, c’est bruyant, le crissement des pneus fait saigner les oreilles, mais c’est du gros son. Ainsi, Dennis Baxter, essaie de restituer le son des agrès, du geste et de l’action sportive comme s’il créait un décor de cinéma sonore. Son principe d’entertaining soundscape puise dans le réel pour être « augmenté » dans le studio grâce à des effets et à des boucles pré-enregistrées. Le designer sonore est aux Jeux Olympiques ce que les transfusions étaient à Lance Armstrong, cet ingrédient sophistiqué et indispensable qui rend le cocktail de dopage inaperçu et efficace. Le surround est un effet de diffusion dont personne ne doute aujourd’hui de l’intérêt pour un match de tennis. L’utilisation de boucles pré-enregistrées dans le direct d’un événement sportif peut être perçue comme une tricherie, mais, pour Dennis Baxter, il s’agirait plutôt d’un arrangement avec la réalité temporelle. On pourrait apparenter ça à la restauration d’un tableau. Quand lors de la compétition d’aviron des JO d’été d’Atlanta en 1996, le son de l’eau des rames et des barreurs est complètement masqué par les hélicoptères et bateaux à moteurs qui suivent la course, Dennis Baxter monte pour le direct un son enregistré la veille pendant les entraînements sur le lac.


Compétition d’aviron, JO d’Atlanta, 1996 

Son objectif est de garantir au spectateur la meilleure expérience possible. Si Baxter et d’autres designers sonores des transmissions sportives utilisent des effets dramaturgiques en puisant dans une rhétorique presque narrative, c’est surtout pour pouvoir restituer le côté spectaculaire du sport, vécu comme si nous étions nous-mêmes plongés dans le geste et dans le jeu. Une expérience véritablement immersive qui aujourd’hui emprunte ses codes aux jeux vidéo, comme en témoigne dans Sound of Sport, Gordon Durity, directeur du département son d’Electronic Arts Canada. La chaîne américaine ESPN s’inspire de l’environnement sonore des jeux vidéo comme FIFA afin d’augmenter les effets sonores, de créer des nappes et des niveaux dans l’écoute tout en amenant le spectateur au plus près du sportif, peut-être même donner l’illusion qu’on est le sportif. Ces retransmissions pourraient presque se passer de l’intervention d’un commentateur. D’autant plus quand les réalisateurs ont la possibilité d’équiper des sportifs de micros sans fil, comme pour les joueurs de curling, les barreurs en aviron ou même des plongeurs.

L’environnement sonore d’un événement sportif n’est plus un accessoire de l’image, ces artisans nommés designers et réalisateurs du son modèlent la matière sonore en textures, motifs, niveaux à la manière d’une partition. Le documentaire Sound of Sport aurait pu s’appeler Sound of Music, car de musique il est question sans jamais la nommer, mais il s’agit de cette musique qui n’est pas faite avec de notes mais avec « des qualités, des rapports, des formes, des actions, des personnages, des matières, des unités, des mouvements. », comme le souhaitait Pierre Henry.

Cristina H