Le podcast.
Le futur de la radio ou l’
aradio du futur

Son nom invoque l’imagerie science-fiction. Le podcast, perçu comme un alien de ce côté de l’Atlantique, est difficile à appréhender. Est-ce un objet, est-ce un format ? Est-ce de la radio déguisée en techwear ? Est-ce une découverte à la Monsieur Jourdain ou une vraie innovation ? Pour trouver quelque début de réponse, il nous faut traverser quelques cours d’eau à l’Ouest, brasser les révolutions industrielles pour essayer de retrouver le patient 0.

 

Pas de timeline ici. Pas de déroulé à la Wikipédia, l’histoire est en train de se faire. Mais peut-être tout simplement qu’elle refait des boucles. Le gramophone a mis en faillite les fabricants de piano. La radio a imposé le pluriel de médium. Le mp3 a asséché l’industrie du disque. Internet danse sur le tombeau de la presse écrite. Le hertzien est fini, vive les box. Ivre, le podcast a-t-il tué la radio ? Les supports changent, les médias se transforment voire mutent, accompagnent les inventions. Jeremy Rifkin, économiste médiatique qui murmure à l’oreille des puissants, nous annonce une troisième révolution industrielle où « le nouveau charbon » sera – ou est déjà – l’accès. C’est à dire, l’accès immédiat à un flux permanent d’informations, signaux, contenus (coucou, Fleur Pellerin). Et la radio dans tout ça ? Elle résiste, moins l’objet en lui-même que le médium. Tout le paradoxe de la radio réside dans sa capacité à produire des rendez-vous et des repères temporels chez l’auditrice ou l’auditeur, tout en étant dans un flux continu. Un menu à volonté de programmes, de contenus, savamment organisés autour d’une ligne éditoriale. 

Le podcast, ce parasite encore attaché à son hôte, vient perturber le rythme de la radio. Contenu, contenant et médium à la fois, le podcast reformule la radio, la découpe, la morcelle. Mais est-ce qu’il est aussi en train de l’ubériser, avec ses contenus à emporter, disponibles à tout moment, livrables via l’application de son choix ? Ce qui est sûr, c’est que le podcast est indéniablement lié à internet. Il en a besoin pour se propager. Sa naissance en tant que médium est donnée en 2003 avec le flux RSS. Vous vous souvenez de cette magnifique invention vénérée par les geeks, boudée et méconnue par le grand public qui permet de s’abonner à du contenu ? Non ? Tant pis. 2003, c’est plus ou moins l’ouverture des vannes pour l’internet 2.0, les réseaux sociaux, les blogs. Le podcast est donc ce médium qui permet d’encapsuler du contenu audio (majoritairement des conférences et des interviews) et le diffuser sur internet. L’arrivée des iPods permet de détacher le contenu de son médium de base et le ramener dans le monde physique, lui faire faire son jogging, par exemple. En se libérant du médium, le podcast renoue avec le récit et se met au plus près de l’oreille. Son évolution sera accompagnée et propulsée par le développement technologique autant que par le renouveau du storytelling à l’américaine. La voix, le récit, l’essai, l’art de la conversation priment sur une créativité de rupture. Il s’agit là de sublimer la radio, faire du podcast un salon de l’intime. Un podcast peut être en apparence un geste solitaire pour celui et celle qui écoute. Néanmoins, une communication ou une forme d’appareillage doivent se faire entre une voix et une oreille. Le rythme, le ton, l’intonation sont des éléments capitaux dans la réalisation d’un podcast. Ils peuvent aussi rendre certains formats quelque peu stéréotypés. Un sketch de la série Portlandia reprend les gimmicks du podcast d’investigation.

Répétez après moi : un podcast, deux podcasts, je podcaste, tu podcastes. C’est aux États-Unis qu’on conjugue le mieux. 64 % des Américains sont familiers du terme. Ils sont un quart à écouter des podcasts une fois par mois. La très grande majorité écoute sur son téléphone, mais à la maison. Si l’appareil en lui-même et son application sont nomades, l’écoute se fait plus cérémonieuse comme du temps de l’oreille au poste – une écoute attentive parfois immersive. Là, où la radio se fait discrète et en fond sonore, le podcast prend tout votre temps de cerveau disponible. Le podcast américain ne renie pas pour autant son héritage journalistique. La professionnalisation du secteur a été facilitée par le fonctionnement éclaté de la radio aux États-Unis, en particulier les contenus syndiqués, mais aussi de vénérables institutions radiophoniques comme This American Life, émission historique de la NPR, radio publique américaine. Peut-être premier showrunner, tous médias confondus, Ira Glass, producteur de This American Life a mis les bases du nouveau récit audio. Le réel et la voix avant tout, avec un travail en finesse où tout mot et chaque respiration sont dosés. Il faut donc traiter un podcast avec la même exigence qu’une broderie, scripter et temporiser sa production avec l’excellence d’un orfèvre.

Au début de la radiodiffusion de masse, la radio était en direct, elle était fuyante. On ne pouvait pas la capter, plus l’arrêter. On savait qu’une fois passés dans le micro, les mots échapperaient à leur locuteur. Tout en étant en direct, la radio essayait de s’y refuser un maximum. Elle était scriptée, répétée, préparée et en recherche de feed-back permanent avec son auditoire. Le podcast d’aujourd’hui renoue avec cet esprit de la radio, où la production et l’écriture étaient capitales.

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Mais attendez un peu… Du podcast qui est finalement un peu comme de la radio de l’ancien temps, avec de producteurs, des écrivains, y en a pas qu’aux États-Unis ! Ils ont le podcast, mais la France a les ateliers de création radiophonique. Mais attendez un peu… Ça n’existe plus ! Bon, ils ont le podcast, mais la France a Arte radio (et c’est quasiment tout). Mais attendez un peu… Radio France a lancé un incubateur de podcasts, après avoir tué des émissions historiques de documentaires et de création. Pas de tribune ici. Loin de moi l’envie d’aller chercher ma tente deux secondes et camper devant la Maison de la Radio pour y faire du Perec. Je ne vous referai pas l’apologie du service public en vous rappelant l’apport essentiel de la BBC, de la NPR et autres radios publiques de par ce monde. La France n’est d’ailleurs pas en reste. PILULE en parle déjà ici.

Mais de la même manière que la France est à la traîne dans la production télévisuelle, qu’elle singe les séries policières, que ses scénarios sont majoritairement fades et le jeu théâtral, elle est aussi en retard sur le médium podcast. Le financement y est aussi pour quelque chose. Là où la méthode américaine est purement et simplement pragmatique, pour faire un bon produit il faut beaucoup d’argent, la méthode française consiste à faire comme s’il n’y avait pas vraiment besoin d’argent.

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Le 6 février 2019 Spotify, qui souhaite devenir la plaque-tournante du podcast (côté production et diffusion) a acheté une des boîtes de production indépendantes les plus cotées, Gimlet Media. En début de mois, le boss de Spotify déclarait être prêt à débourser jusqu’à 230 millions de dollars. Gimlet Media a construit sa renommée avec la très bonne idée du méta-podcast. Startup, créé en 2014 par Alex Blumberg, suit en temps réel la création, le pitch et le développement du podcast éponyme. On suit le cheminement de la création, de l’idée aux partenaires du projet, on rentre dans une logique de développement entrepreneuriale sans aucune pudeur sur la question financière. 2014 est l’année du podcast grâce à Serial, podcast d’investigation qui devient numéro 1 des téléchargements iTunes. Les investisseurs en capital-risque et les annonceurs commencent à s’intéresser au médium. Quatre ans après, les podcasts sont devenus une industrie de contenu rentable, dont le modèle économique s’inspire plus de la télévision que de la radio. Mais comme la télévision, les podcasts risquent de devenir de plus en plus formatés, de plus en plus en plus pros, de moins en moins indépendants, de moins en moins amateurs, de plus en plus dépendants des fournisseurs internet. Heureusement, il restera toujours la radio, la survivante, l’associative, la locale.

— Cristina H