Comment écrire à la radio ?

Quelle grammaire appliquer aux ondes ? Quelle orthographe spécifique ? Ces questions essentielles à tout producteur radio, à tout artiste/artisan soucieux de trouver ses mots, sa narration sont souvent négligées par les auditeurs — qui consomment le média — et par les producteurs eux-mêmes — qui une fois la ligne de force trouvée s’engagent dans leur voie, la pratique et pas la théorisation. Nicolas Horber est producteur, technicien radio, responsable de multiplex DAB + et organisateur d’événements expérimentaux comme le Klapperstein dans l’est de la France. Il est également Délégué général du réseau Radio Campus France. PILULE lui a demandé une réponse possible à cette question : Y a-t-il une écriture artistique (dramaturgique, sonore, musicale) spécifique à la radio ? Cette réponse nous plonge dans l’histoire des avant-gardes, des manifestes et des gestes poétiques.

J’écoute Ursonate pendant que je vous écris. L’arrrrrrrrt radiophonique… La rrrrrrrrrrrrrrrrradiophonie. Énoncée de cette manière, décollée de l’écrit, la radio ressemble à s’y méprendre à un calembour, un trait d’humour. L’humour, ce jeu de l’esprit possédant une grammaire propre et usant d’un véhicule plus large que lui-même, se frayant un chemin au milieu d’un système plus vaste, le langage. L’humour emprunte son ressort à différentes sources ou mécanismes comme le physique, le réel, le rapport à autrui, usw (pour und so weiter). L’art radiophonique peut-être comparé à cela sans que les foudres du sanhédrin de la théorie ne nous tombent sur le coin de l’antenne. L’objet « art radiophonique » : une blague, ein Witz. Un élément autonome qui a son champ spécifique, ses propres codes et références, ses outils et matériaux. Et avant d’engager un vocabulaire universitaire et sévère qui à lui seule corroborera l’idée que la radio puisse être un art – partie d’un tout du genre art acousmatique ? –  je vous invite à penser profondément à l’homme préhistorique et son rapport au langage. Sans doute aurait-il pu penser au travers de ses premières onomatopées cherchant à faire sens que ce langage pouvait être un art… C’est un anachronisme, c’est à la mode mais c’est interdit… Reprenons, l’homme d’alors module de l’aigu au grave en faisant borborygmes buccaux et gargarismes linguaux (j’avais tout d’abord mis cela au singulier car ça sonnait beaucoup mieux à l’antenne)… Puis il parla mal à son propriétaire troglodyte ou son voisin et c’en était fini de l’art vocal (NCDLA : non mais ça ne va pas ? Et les opérettes d’Offenbach merde !). Soit. Medium is the message disait papa McLuhan. Méditons tant qu’il est encore temps. Incompréhensible. Nous voilà donc à chercher un art dans un art qui s’inspire d’un art. L’Internet réaffirme ce que les anciens disent : il y a sept arts et les autres n’ont qu’à se trouver. Radio quantième art ?


Pour la préhistoire de l’art radio je vous invite à écouter Ursonate[1] de notre ami Schwitters (si si vous allez finir par apprécier les Allemands). Là, à cet instant précis nous avons mis le pied dans l’art sonore… Une variante qui est souvent associée à radio art notamment en anglais sound art, radio art[2]). Pour un peintre radiophonique, la palette est vaste. Pour un compositeur radiophonique, l’instrumentation est variée : le microphone et l’enregistreur, la table de mixage, la voix, la musique le son plus largement, la synthèse, voir les instruments et tout ce qu’il est possible d’imaginer. Un silence peut être un marqueur ou un personnage. Laissez libre cours à votre imagination car il n’y a pas d’écran qui fixe les images à votre place. À ce propos, l’onde même — car lorsqu’il s’agit de radio c’est très souvent de celle transportée par le spectre électromagnétique notamment durant le XXe siècle avant d’être comprise comme un programme présenté et livré dans un cadre de plus en plus défini voire en pot — et le principe de radiodiffusion également sont considérés par certains courants comme le matériau même de cet art radiophonique. Relisons l’Ève future[3] qui semble communiquer de façon omniprésente par un biais électromagnétique avant même l’invention du téléphone (landline). De quel magie ou art use-t-elle pour cette omniscience et omniprésence ? Puis, enchaînons avec Jean Tardieu et le « sortilège de la mise en onde[4] » qui nous rappelle cet étrange présence/absence du son radiophonique quand il voyage à travers les ondes pour nous parler à nous, à notre intime. Sans même un abonnement à Internet 7 jours. De digression sonore en digression radiophonique, voici le théâtre radiophonique ou la fiction. Deux amis évidents. Voici d’ailleurs un élément plus communément admis comme un art, la fiction radiophonique : au début du siècle précédent, l’actuel beau siècle spirituel, la radio se faisait surtout en direct, avant que n’interviennent les premiers enregistreurs ou supports de captation point trop encombrants… Tout était alors direct à la radio. Orson Welles balance sa version de la Guerre des Mondes[5] dans les oreilles des New Yorkais dans les années trente et affole certaines personnes pensant que l’arrivée des extra-terrestres, personnages diégétiques, sont en fait réels. La radio serait entendue comme une sorte de reproduction du réel ? L’art aussi ? Une interprétation ? Une transformation ? Les chercheurs cherchent. Oui. La radio possède ses propres matériaux et manières, un émetteur et un récepteur. Juxtaposer des sons complètement détachés de leurs causalités et de tous rapports entre eux, cela créé un troisième univers (voyez avec de vrais chercheurs[6] et pas papa Cotille car ça devient sérieux). Belle époque autocentrée française que l’après-guerre avec Pierre Schaeffer puis les ateliers et clubs de la radio qui s’y essaient et créent des formes et des fonds. Sans doute l’Angleterre ne se gêne pas et les allemands ont leur Hörspiel depuis belle lurette.


Sentiment personnel. L’audience rejette en masse la poésie qu’elle soit sonore ou écrite. Un tournant, le XXe siècle. Ces sonorités qui n’ont pas les attributs de la musique habituelle tels que le rythme. Les refrains, les mélodies n’ont pas l’aval des statistiques. Pourtant, nombreux sont les candidats à l’incarnation de la radio dans un art. Un peu à la façon de l’art numérique qui s’insinuerait tel un huitième art (ou quantième art, avant ou après la bande dessinée, la marionnette, la photographie, la plongée, l’Armagnac, etc.), ses protagonistes se cherchent. Et pourtant il y a bien des spécificités, des caractéristiques propres, une grammaire à soi, une posture singulière de la part de l’audience. Cela bien entendu pour des objets sonores ou physiques qui sortent du registre médiatique classique, formaté que tout le monde consomme en ligne ou non. Le point de vue subjectif présenté ici n’adhère qu’à une chose. L’art radiophonique, ou la radiophonie tout court, peut-être vécue comme de la poésie du côté de l’écoute comme de sa fabrication. Certains artistes radiophoniques se produisent essentiellement sur une scène ou sur support CD. Bref. Chacun fait fait fait c’qui lui plaît plaît plaît. Post-art radiophonique. Voilà donc une échappatoire snob… Oui il y a de l’art radiophonique comme il y a de l’art culinaire. Tant qu’il y a du plaisir, il y a de l’essai. Plus récemment, c’est ailleurs que la radio est art. Chez les japonais, par exemple, l’acte politique d’accaparement des ondes par des citoyens soucieux de liberté d’expression créent la micro FM[7]. Manifeste politique qui dans sa forme propose un réseau d’émetteurs radio de faible puissance fabriqués maison pour partager la diffusion sur toute une ville… Ce réseau de pair à pair précurseur devient un espace de diffusion des sons bruitistes extraits des ondes et de l’électricité, un peu comme souvent, du fait du hasard et de la nécessité (ne dites pas que je vous ai dit ça).

Certes, Antonin Artaud et sa célèbre censure Pour en finir avec le jugement de Dieu met sans doute un terme au rejet, existant alors, de ce formalisme qui se met en place via de grandes organisations et qui s’appliquera ensuite à la production, à la fabrication de la radio. Rationalité et/ou pouvoir oblige. Un corps sans organe est-il toléré ? s’interrogent les adjuvants de cette épopée radiophonique moderne rappelant par certains endroits la folie contemporaine, quelque part entre Apollon et Dionysos. Fin de la tragédie. Quelque part entre 87 et 108 MHz.

Un individu

 

RESSOURCES

À écouter

Pierre CUSY
and Gabriel GERMINET, Maremoto (notre guerre des mondes à nous), 1924

Editions
Phonurgia Nova

Le festival radio Revolten

Radio Art par Tetsuoo

*** Cerise sur le poste radio : pour célébrer la sortie du livre XOXO de Tetsuo Kogawa aux éditions UV, le collectif organise une radio-party-marathon dès 17h00 le 30 mars 2019 à l’Échangeur, n’oubliez pas vos récepteurs. 

ΠNODE, l’invasion en cours et à venir en la matière.

 

À lire

Kurt Schwitters, Ursonate, 1922-1932 

Le magazine Syntone (en pause mais beaucoup d’archives)

Radio Alice et ses recherches d’un langage radiophonique propre, Collettivo A/Traverso
« Alice
è il diavolo », a cura di Bifo, Storia di una radio sovversiva, Shake Edizioni Underground, 1 977

NCDLA = Note contradictoire de l’auteur

 


[1] Kurt Schwitters, Ursonate,
1922-1932 

[2] http://radia.fm pour en profiter pleinement ; des infos sur les
manifestes quant à l’art radiophonique 

[3] Auguste de Villiers de L’Isle-Adam, L’Ève future, 1886

[4] Jean Tardieu, Grandeurs et faiblesses de la radio : Essai sur l’évolution, le rôle
créateur et la portée culturelle de l’art radiophonique dans la société
contemporaine
, avec la collaboration
de Chérif Khaznadar, Charles Ford, Nino Frank, Reliure inconnue – 1969

[5] Wells H. G., La guerre des Monde, adapté et mis en
ondes par Orson Welles, 1 938

[6] Christophe Deleu, Le documentaire radiophonique, Mémoires de
radio, édition l’INA chez L’Harmattan, 2013

[7] Tetsuo Kogawa, A Radio Art Manifesto